Bioréacteur, biomasse, fermentation de précision, protéines d’intérêts… derrière ces mots, il est parfois difficile de comprendre leurs implications et de distinguer ce qui est de l’ordre de la recherche, de ce qui est déjà en production. Ce qu’on ne connait pas nous fait souvent peur, il est donc important de chercher à y voir plus clair. Etienne Guillocheau, responsable scientifique chez Foodinnov a répondu aux questions de direction-marketing.fr
Il nous éclaire sur les 3 différents types de process de fermentation et leurs applications. Un sujet au cœur de la transition alimentaire.
Etienne Guillocheau
responsable scientifique – Foodinnov
DM : Etienne, pouvez-vous nous aider à comprendre la frontière entre la fermentation que l’on connait depuis toujours et la fermentation utilisée dans l’agriculture cellulaire ?
EG : je dirais qu’on peut distinguer trois démarches :
- La fermentation par simple macération
La fermentation traditionnelle est un phénomène naturel, qui se produit lors de la transformation de la matière organique par des microorganismes (levures, bactéries, champignons (définition par GFI)Ce procédé traditionnel est utilisé depuis des milliers d’années pour la fabrication de nombreux aliments : pain, vin, vinaigre, bière, fromage, kéfir… - La fermentation de biomasse
Ce process se distingue par l’ajout de vitamines, minéraux, protéines ou facteurs de croissance pendant la fermentation pour assurer la multiplication des cellules (levures, bactéries, champignons microscopiques, algues, cellules animales et végétales). Les cellules sont utilisées entières, pour être incorporées dans divers aliments :
– Pour la composition de steaks hachés, poisson…
– Pour la production d’ingrédients : micro-algues entières dans des yaourts, des laits, des jus de fruits et des barres de céréales. - La fermentation de précision
Ce troisième type est identique au cas précédent ; cependant, ce sont des extraits de cellules qui sont valorisés. Les cellules sont alors utilisées comme des « mini-usines ».
Les applications : protéines d’intérêt, caséine, lacto serum, omega-3 (pour enrichir le lait infantile), beurre de cacao (pour le chocolat), protéines de blanc d’œuf qui seront incorporés dans des préparations.pour information, l’industrie pharmaceutique utilise déjà ce procédé pour fabriquer l’insuline utilisée par les diabétiques aujourd’hui.
DM : Quand verrons-nous arriver les premiers produits issus de ces nouveaux modes de production ?
EG : Des ingrédients issus de la fermentation sont déjà autorisés à l’échelle européenne : c’est le cas de certains glucides complexes utilisés dans des formules infantiles (fermentation de précision), mais aussi certaines algues entières comme Euglena gracilis (fermentation de biomasse).
Le cas très médiatique de la viande cellulaire est en cours d’avancement. Au niveau européen, tous les projets devront passer l’étape réglementaire Novel food par l’EFSA avant une mise sur le marché. Les premiers dossiers devraient être déposés dans les 2 prochaines années. Pour l’heure, à l’échelle mondiale, il n’y a que Singapour qui a autorisé ce type de viande sur son territoire (filets de poulet et chicken bites de Eat Just).
L’EFSA effectue un contrôle rigoureux et en toute transparence sur les dossiers de demande de mise sur le marché de nouveaux aliments. 84 % environ des dossiers aboutissent à une autorisation mais le parcours est exigeant.
Pour rappel ce ne sont pas les autorités nationales qui vérifient que tel ou tel ingrédient est conforme ; le règlement impose au contraire une responsabilité pour les fabricants d’ingrédients, de vérifier si oui ou non leur ingrédient tombe sous la règlementation Novel Food.
Etienne GUILLOCHEAU
Foodinnov
Pour plus d’informations sur la fermentation :
Le document de référence par GFI
Pour répondre aux questions liées à la fermentation et au dossier Novel food : Foodinnov
Nous vivons une véritable révolution agricole et alimentaire. Il y a encore 2 ou 3 ans, je me disais que nous n’aurions pas besoin de l’agriculture cellulaire. Mais tous les scénarios auxquels nous réfléchissons avec un collectif d’experts nous conduise à la même conclusion : ce sera indispensable pour compléter l’Alimentation que nous connaissons . Au risque de véritables pénuries ; ou pire de famines.
Alors cette option de production alimentaire doit être mise sur la table et étudiée avec sérieux, sans concession sur la sécurité alimentaire. Au niveau Européen NOVEL FOOD est fait pour protéger le consommateur. Le sujet va faire parler quelques années avant d’avoir des produits dans notre alimentation et c’est nécessaire. Quand on voit les millions -voire millards- qui sont investis dans ce secteur au niveau mondial d’autres doivent arriver à la même conclusion. Pas plus tard que ce jour, là Startup GOURMEY vient de lever 48 millions d’€ !
Mais attention : l’Aliment (en général) n’est pas une marchandise comme les autres : elle nous fait vivre, nous procure du plaisir, est culturel… mais il peut nous rendre malade, voire nous tuer !