Merci beaucoup à Nathalie Rolland d’avoir répondu aux questions de direction-marketing.fr sur ce sujet qui suscite beaucoup de curiosité et soulève tant d’interrogations.
Nathalie Rolland, Cellular agriculture specialist.
Co fondatrice de l’association Agriculture Cellulaire France
AD : Nathalie Rolland, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous donner votre définition de l’agriculture Cellulaire ?
NR : L’agriculture cellulaire est un domaine récent de développement de produits animaux à partir de cultures cellulaires. Ces produits ne nécessitent pas d’abattre d’animaux. J’ai commencé à travailler sur ce qu’on appelle l’agriculture cellulaire en 2017 avec le chercheur néerlandais Mark Post qui avait montré une “preuve de concept” de burger in vitro en 2013. Ce burger contenait de la viande cultivée à partir de cellules de vaches.
De la viande, du poisson et des fruits de mer sont en développement grâce à cette technique de culture cellulaire (la même utilisée par exemple en médecine régénératrice). Cette viande est appelée viande cultivée, viande de culture, cell-based meat, etc. Les autres produits de l’agriculture cellulaire tels que les protéines de lait, d’œuf ou de collagène sont également en développement. Ces protéines sont produites avec la méthode de la fermentation et permettent de développer de la glace, du fromage, des blancs d’œufs ou encore de la gélatine.
C’est pour informer et alimenter la réflexion autour de l’agriculture cellulaire que j’ai co-fondé l’association Agriculture Cellulaire France.
AD : selon vous, pourquoi faut-il s’intéresser à cette nouvelle forme de production ?
NR : Principalement pour trouver des moyens complémentaires à la production conventionnelle de produits animaux. Les produits de l’agriculture cellulaire sont développés pour être meilleurs pour l’environnement, le bien être animal, la santé, pour aider à lutter contre l’antibiorésistance et aider à prévenir les pandémies dues à des zoonoses (maladies infectieuses ou parasitaires transmissibles des animaux aux humains).
Il est important que la France et l’Europe s’intéressent à ce domaine pour ne pas prendre de retard sur des pays comme les Etats-Unis, Singapour ou l’Inde, qui ont compris l’intérêt de se positionner en leader dans ce domaine (indépendance alimentaire, compétitivité du pays, etc.). Il est à noter que des pays européens en ont déjà pris conscience, tels que le gouvernement flamand, qui a octroyé une subvention de 3,6 millions d’euros à un consortium belge souhaitant produire du foie gras, ou celui des Pays-Bas, dont la chambre des représentants a presque unanimement demandé au ministre de l’agriculture, de la nature et de la qualité des aliments de montrer plus d’ambition et de stimuler le développement de la viande cultivée.
Être impliqués signifie aussi avoir un meilleur contrôle sur le développement de cette industrie et participer à l’élaboration de normes.
Projet étudiant – source packagingoftheworld.com
AD : Les scandales alimentaires (viande de cheval, lait contaminé…), les crises sanitaires (vache folle, grippe aviaire, fièvre porcine…), les révélations sur les pratiques douteuses en élevage intensif et les dérives dans certains abattoirs, toutes ces affaires ont jeté le discrédit sur l’industrie agroalimentaire et éveillé une suspicion générale. En même temps les consommateurs feront ils davantage confiance à des laboratoires pour leur alimentation ? La crise de confiance existe tout autant dans l’univers de la santé et la défiance concerne aussi la science. A quelles conditions selon-vous le consommateur pourrait préférer ce mode de production de viande notamment ?
NR : Je pense que c’est en informant les futurs consommateurs que pourra s’établir une relation de confiance. Nous avons créé Agriculture Cellulaire France pour cela : échanger et expliquer. Nous souhaitons également que les entreprises et universités qui développent ces produits soient le plus transparentes possible. Ces nouvelles méthodes de production devraient permettre un contrôle facilité de la production et devraient donc moins présenter de risques sanitaires. La réglementation devrait également permettre de rassurer les consommateurs sur le fait que ces produits seront sûrs pour leur santé.
Concernant le bien-être animal, les élevages intensifs et les abattoirs ne seront pas nécessaires pour développer ces nouveaux produits. Il faut aussi noter que les entrepreneurs pionniers du domaine se sont lancés dans l’aventure pour pouvoir proposer des produits meilleurs pour la planète, l’humain et les animaux et beaucoup sont également médecins.
Sources : future-meat.com et innocent-meat.com
AD : Certains pensent que la solution réside dans la déconsommation de viande et un retour à un mode de production plus paysan pour se recentrer sur des produits de qualité et une consommation plus occasionnelle ?. Cette viande in vitro n’est-elle pas une façon de ne pas changer nos habitudes ? Un peu comme le réflexe de chercher à substituer des bio plastiques à la pétrochimie plutôt que de changer plus profondément nos comportements ?
NR : Une très forte baisse de la consommation de produits animaux est nécessaire. Un retour à un mode de production plus paysan plus qualitatif également mais cela ne sera pas suffisant pour répondre à la demande mondiale en produits animaux qui est en train d’exploser aujourd’hui. L’agriculture cellulaire pourrait permettre de répondre à une partie de cette demande tout en ayant un meilleur impact sur la planète, les animaux et la santé. Il est important d’explorer toutes les pistes qui permettraient de réduire la consommation de viande industrielle.
D’une manière générale il est nécessaire de transiter vers une alimentation plus végétale et de privilégier des alternatives à la production conventionnelle de produits animaux.
AD : La consommation de viande en France est souvent liée dans les esprits à notre patrimoine gastronomique, à des terroirs, à des paysages de pâturages… bref à notre culture, à notre identité. Est-ce que la viande issue de l’agriculture cellulaire n’est pas d’avantage liée à une source de protéines, à des nutriments autrement dit à une forme d’alimentatIon fonctionnelle plus qu’à un plaisir culinaire ?
NR : Le plaisir gustatif est le principal critère d’achat des produits alimentaires, ces nouveaux produits devront être bons pour être adoptés par les consommateurs. L’idée avec l’agriculture cellulaire est de proposer des produits que les consommateurs connaissent, avec leurs qualités organoleptiques. Il ne s’agit pas uniquement de fournir des protéines pures mais de retrouver le plaisir de la viande, du poisson, du fromage, etc…
Les premiers produits disponibles pourraient être simples (ex: viande hachée) mais avec le temps et le développement de cette technique ils pourraient devenir plus complexes et variés (ex: steak, entrecôtes, etc.).
AD : Quels types de produits pourrait-on imaginer après la viande de bœuf, le lait, les œufs, la gélatine ?…
NR : Beaucoup de produits sont en développement : viande, poissons, fruits de mer, glaces, fromages, œufs, etc. Ces techniques de production pourraient permettre de développer des produits encore meilleurs du point de vue nutritionnel : par exemple sans cholestérol, en remplaçant les graisses animales par des graisses végétales. Toutes sortes de nutriments pourraient aussi être ajoutés, des aliments que nous ne connaissons pas aujourd’hui pourraient être créés.
Cet aspect pourrait intéresser de futurs consommateurs mais je pense que pour le moment l’urgence est de développer des produits suffisamment attractifs et proches des produits animaux conventionnels pour réduire pression que nous faisons peser sur l’environnement.
Sources : 1 Steak tartare de Mosa Meat / 2 Boulette de viande de Mosa Meat
3 Steak de Aleph Farms / 4 Saumon de The Wild Type
De nombreuses entreprises travaillent sur ce sujet, citons : Gourmey, Vital Meat, Aleph Farms, Mosa Meat, Memphis Meats, Meatable, Peace of Meat (qui a reçu le soutien du gouvernement flamand), Higher Steaks, Innocent Meat, Alife Foods…
AD : Combien de temps faudra-t-il attendre avant de pouvoir goûter ces produits et quels réseaux de distribution seront les premiers concernés ?
NR : Les premiers produits de l’agriculture cellulaire sont en vente depuis peu, en quantités encore limitées : les glaces produites avec les protéines de Perfect Day (protéines de lait produites à partir de microorganismes). Les produits tels que les produits laitiers, œufs ou la gélatine devraient être disponibles avant la viande cultivée. Il est difficile d’évaluer quand cette nouvelle viande pourrait être disponible. Pour une quantité limitée on pourrait attendre quelques années de développement encore (moins de 5 ans ?) et un peu plus longtemps (une dizaine d’années peut-être) pour la trouver en plus grande quantité, en supermarchés.
Comme la majorité des nouveaux produits, les produits de l’agriculture cellulaire devront être plus chers lors de leur mise sur le marché et devraient donc être disponibles dans des points de vente hauts de gamme et des restaurants avant d’être disponibles en supermarchés.
AD : Quels conséquences pourraient avoir ces produits sur l’industrie agro-agroalimentaire ?
NR : Les avantages pour les acteurs de l’agroalimentaire pourront être nombreux. Ces produits devraient leur permettre de proposer des produits plus durables, éthiques et meilleurs pour la santé: lutte contre l’antibiorésistance, diminution des risques de maladies zoonotiques, de contaminations bactériennes, ainsi que des produits sans cholestérol, avec une meilleure digestibilité et avec un profil nutritionnel pouvant être plus intéressant (ex: produits enrichis en protéines).
Ces produits devraient présenter les mêmes propriétés fonctionnelles que leurs équivalents conventionnels, ce qui évitera aux producteurs de changer leurs formulations et processus de production (comme c’est le cas avec les protéines végétales). Ces produits devraient présenter une meilleure traçabilité et standardisation, une qualité constante, une meilleure sécurité d’approvisionnement, ainsi que moins de volatilités des prix et des volumes dues aux risques sanitaires, de saisonnalité, de météo, etc…
Les produits de l’agriculture cellulaire devraient être plus rapides à produire et pourraient aussi être moins chers à long terme.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur le sujet, vous pouvez suivre les actualités de l’association en allant sur le site :
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Propos recueillis par Alexandre Durand pour direction-marketing.fr
Le sujet de l’agriculture cellulaire nous intéresse. Je suis allé en début d’année à la 1ere réunion de l’association à Station F à Paris.
En 2014, Mark POST, pionnier de l’agriculture cellulaire a été très médiatisé en parlant du « steak à 250 000 € ». Cela me semblait un peu de la science-fiction. Ils disait à l’époque « Dans 7 ans vous mangerez de la viande in Vitro ».
Mais le sujet est plus compliqué que prévu…
Depuis 1 an nous nous sommes intéressé au sujet pour évaluer l’intérêt global. La problématique de nourrir 9 milliards d’habitants en 2050, du réchauffement climatique, du bien-être animal… conduisent à réfléchir à notre système de production alimentaire. Le besoin croissant en protéine est une vraie problématique. Les protéines végétales ne seront pas suffisantes. L’élevage doit être plus qualitatif et plus respectueux, donc moins intensif. Aussi l’émergence de l’agriculture cellulaire doit être étudiée de près. Avec l’éthique qui s’impose. En plus d’être bonnes, les viandes cellulaires devront répondre aux exigences impératives de sécurité alimentaires. Ce sont des aliments « novel food » qui devront être autorisés pour notre alimentation avant leur commercialisation. Cela va être long en terme de recherche et d’autorisation, pas avant 5 ans à 10 ans pour avoir les 1er produits autorisés.
En parallèle une réflexion sur l’éthique des modèles de production devra être menée, avec un dialogue avec les consommateurs. Lors d’une conférence récente Marc POST annonçait qu’un steak à 8 à 10€ lui semblait possible. Le nombre de projet d’agriculture cellulaire se multiplient à travers le monde. Pour nourrir notre population croissante nous avons le devoir d’étudier avec rigueur toutes les pistes.
Foodinnov va participer concrètement à ces sujets, dans un mode collaboratif. » Vincent LAFAYE, Dirigeant de FOODINNOV GROUP.