ITW de Serge Papin, engagé pour l’accès à une alimentation plus saine

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Innovation et créativité Interview

A la veille de la semaine du goût, Serge Papin nous livre sa vision et quelques leviers d’amélioration pour un accès à une alimentation plus saine.

Crédit photo : Stéphane Chevillon
Serge Papin

Consultant et ancien PDG de Système U
Co-auteur du livre Du panier à l’assiette,
Engagé pour une alimentation responsable

Bonjour Serge,
Merci de partager avec nous votre vision de l’accès à une alimentation plus saine.

LDB : On parle de surconsommation, de méfiance envers les industriels et les distributeurs, de crises sanitaires … et pourtant la sécurité alimentaire n’a jamais été aussi performante. Quels sont pour vous les défaillances alimentaires à inverser et à contrario les atouts à mieux valoriser ?

SP : Les normes de sécurité sont très bonnes et nous sommes sans doute le pays le plus sûr du monde sur ce point, c’est un atout pour les consommateurs.

Mais ce qui pose question ce sont les ingrédients controversés, les résidus de pesticide, les perturbateurs endocriniens, les quantités de sucre, de sel, le rapport à la protéine animale … Les excès prouvent bien que la question du « mieux manger » doit être au cœur des préoccupations de ceux qui mettent en marché.

La prise de conscience est très grande aujourd’hui et le mouvement est en marche.

LDB : Ok, la traçabilité alimentaire est un prérequis, mais ne faut-il pas encore plus de transparence de la part des industriels afin de regagner la confiance des consommateurs ?

SP : Il faut effectivement mettre plus de transparence à l’échelle industrielle.

Grace au digital, tout se sait et tout va très vite.

Les acteurs de la chaîne agroalimentaire doivent apporter plus de clarté sur leurs méthodes et process de fabrication : Quelle est la composition des produits, comment et où sont-ils fabriqués ?

La blockchain offre aujourd’hui une plus grande transparence tout au long de la chaîne de valeur et sur un registre plus nutritionnel, les applications food telles que Yuka, My Label… accélèrent le mouvement.

Les industriels voient les lignes bouger et s’engagent dans cette dynamique.

LDB : Plus de qualité ne rime pas forcément avec prix accessibles … Comment apaiser les rapports de forces entre les acteurs de la chaîne agroalimentaire ?

SP : J’ai toujours œuvré pour la réconciliation du consommateur avec la santé et des distributeurs avec les agriculteurs.

Cette réconciliation consiste d’abord à quitter le rapport de force afin de construire des prix responsables et équitables.

Les négos annuelles orientées sur la course au « prix à tout prix » ne sont pas compatibles avec l’amélioration de la qualité alimentaire.

Les négos pluriannuelles – que j’ai pu soutenir lors des Etats Généraux de l’Alimentation – apporteraient plus de sérénité et de transparence dans la construction des prix, ainsi qu’une meilleure visibilité pour les producteurs et les industriels.

Quant aux consommateurs, ils sont acteurs et sont prêts à évoluer vers des achats plus responsables.

 

LDB : La distribution ne devrait-elle pas endosser un rôle de pédagogue alimentaire pour optimiser la liste de course et renouveler les menus du quotidien ?

SP : La grande distribution est capable de faire de la pédagogie en reconnaissant sa responsabilité dans les produits qu’elle vend et en étant connectée avec les terroirs, les saisons, les démarches vertueuses… tout particulièrement sur les produits à leurs marques.

L’avenir des magasins est de favoriser la résilience locale. Il est nécessaire de s’adapter au contexte local en impliquant les clients dans une alimentation plus résidentielle.

On observe chez les consommateurs un véritable retour au local, couplé d’une prise de conscience : pourquoi ne pas imaginer, demain, des fermes autour des supermarchés ?

LDB : Vous parlez de « sobriété positive », quelle est la marge de manœuvre et quel sera le rôle de la distribution pour conseiller et orienter ses clients vers des choix plus qualitatifs et une amélioration des pratiques culinaires quotidiennes ?

SP : La sobriété positive est une idée de Pierre Rabhi. Il vaut mieux consommer moins et mieux, que de consommer de façon excessive car cela a des inconvénients sur la santé, l’environnement et produit du gaspillage alimentaire.

Les leaders influents de demain sont ceux qui encourageront une consommation responsable et qui s’engageront dans la pédagogie du manger mieux et plus sain.

La grande distribution devra elle aussi muter et corriger des excès où elle cherchait les volumes à tous prix. Il y a aussi un enjeu de santé publique.

LDB : Le rôle de l’artisanat de bouche est capital dans le portrait que vous dressez du commerce alimentaire de demain. Allons-nous vers plus de désindustrialisation ? et l’artisanat est-il réellement compatible avec la GMS ?

SP : La distribution de demain se fera avec des professionnels formés, bien rémunérés et qui prendront plaisir à conseiller leurs clients.

Il y a un phénomène de « revanche du vendeur » face au tout digital, on le voit dans de nombreux domaines avec de plus en plus de lieux dédiés à l’expérience client et aux liens concrets : il y a plus de modernité dans la présence d’un bon boucher que dans celle de la dernière technologie ! au passage, un bon boucher est plus difficile à trouver que les dernières technologies. Les métiers de bouche créent du lien et incarnent une relation de proximité affective avec leurs clients.

Ces lieux attirent des passionnés et illustrent une forme de réartisanalisation du commerce alimentaire qui répond à une quête de lien : faire ses courses devient un véritable moment joyeux.

Cette relation de conseil incarnera une nouvelle génération de magasins.

LDB : Du 7 au 13 octobre nous fêterons les 30 ans de la Semaine du Goût, quel conseil donneriez-vous à la jeune génération pour manger mieux et faire ses courses en conséquence ?

SP : Tout d’abord, prenez le temps de cuisiner. Ce sont des moments privilégiés, chaleureux, contemplatifs, bons pour la santé et bons pour l’esprit.

Découvrez les produits de vos régions et faites vos courses en respectant les saisons : ce sera meilleur pour votre santé et les prix seront plus intéressants.

Pour faire court je leur dirais de manger mieux et de téléphoner moins !

Propos recueillis par Loïc de Béru