Jouer pour apprendre ? Ce que l’on pensait réservé au domaine de la petite enfance devient de plus en plus un sujet d’intérêt pour les formateurs, les chercheurs en neuro-sciences, les pédagogues et… les directions marketing ou innovation des entreprises.
Cyril Rollinde – Fondateur de Arandi agence conseil et de formation dédiée à l’entrepreneuriat et l’ESS.
AD : Cyril, pourquoi vous intéressez-vous au serious game ?
CR : La première difficulté, c’est de définir ce qu’est un jeu, a fortiori un jeu sérieux. Une chose est sûre, le secteur se structure et s’est récemment doté d’un syndicat des jeux sérieux. A défaut d’une définition (la seule que je trouve parlante est celle d’un “effort volontaire pour surmonter des obstacles inutiles” !) je reprends dans ce papier les principes partagés par Suzon Beaussant, la présidente du tout récent Syndicat des Jeux Sérieux, au cours de son stage de formation au “serious game design”.
Plus un dispositif reprend les principes ci-dessous, plus on peut le qualifier de jeu :
- il a des règles qui lui sont propres
- il offre un espace de liberté : il est possible aux participants de décider, de faire des choix (ce n’est par exemple pas le cas du jeu de l’oie)
- avec une issue incertaine (plus les stratégies possibles pour gagner sont nombreuses, plus il est difficile de pronostiquer rapidement qui va gagner, plus on a affaire à un jeu. De ce point de vue le Monopoly n’est pas considéré comme un très bon jeu, aussi plaisant soit-il !)
- un caractère improductif, dans le sens où l’un des buts visés est que les participants prennent du plaisir
- et se situe dans un univers “séparé”. Les concepteurs de jeu parlent aussi de “cercle magique”, un espace où les participants ne se sentent pas mis en danger, peuvent prendre des risques, sans que cela n’ait de conséquences sur leur vie réelle.
AD : Les “jeux sérieux” utilisés en formation ont une dimension plus pédagogique, non ?
CR : Comme n’importe quel dispositif pédagogique, le jeu sérieux se doit de répondre à des objectifs pédagogiques. Il fait partie d’une séquence pédagogique qui inclut en général une phase de préparation (brief) et une phase de retour sur l’expérience vécue. Il est souvent animé par un formateur. Quand ça n’est pas le cas, les concepteurs (si ce sont de vrais concepteurs !) auront veillé à former les animateurs du jeu ou à rendre explicite, au travers des mécaniques du jeu, de la conception visuelle des supports ou de la règle du jeu, la manière de jouer et de remplir les objectifs pédagogiques.
L’usage du jeu rentre dans le champ des pédagogies actives. Il permet de travailler le “faire” plutôt que le “dire” (comme les méthodes démonstratives) mais en centrant l’apprentissage sur les participants plutôt que sur le formateur (comme les méthodes interrogatives). Il est dans cette matrice l’exact complément aux méthodes magistrales, qui peuvent rester efficaces dans d’autres moments de la séquence pédagogique.
Sans rentrer dans le détail, l’usage du jeu permet de renforcer efficacement ce que des neuro-scientifiques comme Stanislas Dehaene appellent les “quatre piliers de l’apprentissage” : la consolidation, l’attention (par le plaisir ludique), le retour d’informations et l’engagement actif.
L’ambition du jeu, de l’activité ludique, est que les participants restent tous, en dépit de leur diversité et de leurs attentes, dans le même niveau de “flow”, défini comme l’état dans lequel ils ne s’ennuient pas (trop facile) mais où ils se sentent capables de réussir (à leur portée). L’enjeu est que ce flow soit ressenti sur les contenus abordés mais aussi sur les règles du jeu. On appelle savamment cette zone la “zone proximale de développement”.
Convaincu de l’intérêt de recourir à des jeux dans le cadre d’une formation ?
En fonction du budget, du temps, des objectifs… de la formation, il reste à évaluer quelle est l’approche la plus pertinente.
AD : Tous ces jeux n’ont pas les mêmes objectifs, peux-tu nous éclairer sur les différentes catégories ?
CR : L’approche la plus aboutie est celle de la conception de jeux (serious game design) consistant à proposer à un professionnel de développer un jeu dédié. Idéal pour travailler les savoir-faire, pour disposer d’une expérience personnalisée et collant aux besoins, mais potentiellement onéreuse en temps et en argent. Le format de « fresque » n’est pas toujours considéré comme un jeu mais permet de faire travailler les rapports de causalité, d’aborder la complexité d’un sujet.
Certains éditeurs disposent de jeux mobilisables sur étagère. De nombreux exemples de jeux permettent de travailler par exemple sur la gestion d’équipe, les études de marché, la mémorisation d’un catalogue produit, la gestion de situation de clientèle difficile… par des mises en situation, des jeux de carte ou de plateau. Les compétences de coopération, d’assertivité, de créativité et d’innovation (Chaos Fertile, le jeu de l’innovation…) font l’objet de beaucoup de jeux sérieux développés par des éditeurs spécialisés. Le dernier salon du jeu sérieux (Ludinord Pro) présentait en avril dernier un panel de jeu sur la vente (Wonder Vendeur), sur la fidélisation (« Garde moi si tu peux ») ou encore sur le management (Ketchup Management).
Plus simple, mais nécessitant également autant que possible la mobilisation d’ingénieurs pédagogiques formés à l’usage des jeux, il est possible d’utiliser un jeu « ludique » déjà existant et éventuellement d’en détourner quelques règles (serious modding).
AD : Il existe une telle variété, pouvez-vous recommander 2 ou 3 exemples inspirants pour découvrir ces outils ?
CR : Les jeux les plus souvent détournés sont des jeux rapides permettant un ancrage, une remobilisation de savoirs (Splito, Scrabble…) ; des jeux permettant de travailler la posture, les valeurs, les comportements adaptés comme TOP 10 (qui dispose aujourd’hui d’une version « pro ») ou Magic Maze (sur l’intelligence émotionnelle) et des jeux ancrant les connaissances sur la base de quizz améliorés (en particulier le jeu Tu Te Mets Combien).
Il est bien sur possible de choisir (ou de se faire aider pour choisir) un type et des mécaniques de jeu adaptés (un escape game ? un jeu coopératif, de négociation…), que ce soit pour stimuler les idées, la créativité, l’innovation ou les compétences en négociation (un exemple très abouti me semble être Chinatown).
Merci à Cyril Rollinde – Fondateur de Arandi agence conseil et de formation dédiée à l’entrepreneuriat et l’ESS.
Propos recueillis par Alexandre Durand – Pareidolies