Christophe Cisowski est Responsable Insights Consommateurs chez LÉA Nature, une fonction récemment créée au sein de l’entreprise. Il nous en dévoile sa genèse et son rôle.
Responsable Insights Consommateurs chez LÉA Nature
EHD : Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Je suis actuellement Responsable Insights Consommateurs pour la partie alimentaire chez LÉA Nature – ce qui inclut les produits diététiques et les produits de santé. C’est un poste que j’occupe à temps plein depuis octobre 2020.
De formation scientifique, j’ai toujours eu le goût du ‘pourquoi’ tout au long de mon parcours professionnel, et je suis passionné par l’alimentation sous tous ses aspects depuis toujours.
Arrivé chez LÉA Nature en 2010 en tant que chef de produits, j’ai depuis 2015 centralisé toutes les études et panels sur l’alimentaire. Cela m’a occupé de plus en plus, au point qu’il a été décidé de créer cette fonction qui répondait à une volonté de l’entreprise et qui correspondait à mes savoir-faire et aspirations.
EHD : Qu’est-ce qui a amené une entreprise comme LÉA Nature à créer – officiellement – une fonction de Responsable Insights Consommateurs ?
CC : LÉA Nature a été créée en 1993 par Charles Kloboukoff, et est toujours une entreprise familiale indépendante. Proposant au départ des produits de santé, en 1995 il a créé avec sa femme la marque Jardin BiO. Le développement de l’entreprise s’est toujours basé sur une orientation « produit » et « commerce », en travaillant le point de vente avec une équipe et une force de vente, et en leur proposant une offre qui anticipait les besoins des consommateurs. Très vite, comme c’était très important pour notre PDG de maîtriser la fabrication de nos produits, nous avons développé en parallèle une culture industrielle, et porté à 14 nos sites de fabrication bio en France.
[En résumé trois facettes :] celle de fabricant ; le sens du commerce ; et au-delà du produit, du magasin et de l’usine : le consommateur.
LÉA Nature a contribué à démocratiser le bio en GMS en anticipant la demande des consommateurs avec une politique d’offre très large basée sur l’innovation. Beaucoup de produits étaient développés, puis mis sur le marché assez rapidement : il y avait un time-to-market assez agile et c’était facile de s’ajuster car nous étions dans des dimensions de fabrication à taille raisonnable.
Cependant l’entreprise prenant de l’ampleur, et avec un contexte concurrentiel accru, il est devenu obligatoire de se poser la question d’un meilleur pilotage et d’une optimisation de nos performances. Notre contexte concurrentiel a en effet changé profondément : il y a de plus en plus de groupes PGC qui se sont lancés sur le bio. La concurrence est très forte à ce niveau-là. Il y a aussi des petites marques bio avec des positionnements pointus. Des linéaires qui arrivent à saturation avec un rendement des innovations parfois en-dessous de ce que peut faire le conventionnel. Il y a aussi l’omnicanalité avec le poids du digital qui est un point d’influence sur les pratiques qu’on avait par le passé.
D’autant qu’on peut difficilement continuer de visiter autant de magasins comme on pouvait le faire avant avec des gammes aussi larges. Ça nous a amené à nous poser de plus en plus de questions sur la connaissance consommateur, à faire des tests avant lancement etc. C’était l’évolution naturelle de l’entreprise.
C’est donc devenu une évidence de créer une fonction de Responsable Insights Consommateurs, partenaire du business pour aider à prendre les meilleures décisions.
EHD : Quel est votre rôle ?
CC : J’ai plusieurs missions parmi lesquelles :
– Mettre en place et optimiser des outils de pilotage de la performance.
– Aider à identifier et à cartographier des opportunités de croissance.
– Travailler la priorisation des concepts à travers la connaissance consommateur.
– …
Tout ce qui contribue à ce que demain nous fassions les choses plus efficacement.
J’ai un rôle de catalyseur qui est là pour : écouter, interroger, faciliter, suggérer, orienter, informer, faire naître des réflexions et des idées, susciter des initiatives… Les équipes fonctionnent, elles sont dans leur quotidien et elles n’ont pas toujours le temps de lever la tête du guidon. Mon rôle c’est de les aider à ce que la réflexion se fasse plus vite, que celle-ci soit plus qualitative, qu’on évite les erreurs, qu’on sécurise les prises de décision. Et contribuer à faire émerger des réflexions.
J’interviens de façon transverse sur l’alimentaire. La fonction étant très importante, elle a été dupliquée en cosmétique avec ma collègue Hélène Pommeret – Responsable Insights Consommateurs Cosmétique.
La marque Jardin BiO devenue Jardin BiO Étic – propose plus de 400 références. Et plus largement nous gérons environ 2 500 références de produits bio et naturels. D’où des enjeux de priorisation, de séquentialité en linéaires, d’investissements variés… En revanche restant une entreprise indépendante familiale, on a les ressources que notre taille d’ETI nous donne. On ne peut pas être aussi dispendieux que certains grands groupes : il nous faut savoir être agile.
EHD : Pouvez-vous nous en dire plus sur vos modes de fonctionnement ?
CC : On est organisés par marque puis par catégorie. On peut dégager deux fonctionnements :
– D’une part les problématiques catégorielles : on échange avec les directeurs, responsables de marque ou de catégories qui viennent avec des réflexions et des problématiques. De la même façon que la fonction Insights est récente cette démarche l’est aussi. J’évalue à partir de la réception d’un brief études comment je peux leur apporter une réponse, selon quel protocole d’étude, afin de leur soumettre une proposition. L’objectif serait à terme de pouvoir créer des ponts car des insights sur une catégorie pourraient servir à d’autres. Mon rôle est aussi de créer ces transversalités.
– D’autre part, je mets un point d’honneur à être proactif sur tout ce qui va être du domaine des thématiques transversales. Par exemple sur janvier nous avons mené un groupe de travail avec mon homologue en DPH et nos alternantes pour identifier les grandes thématiques 2021 à veiller et à travailler pour se les répartir. Certaines thématiques sont évidemment plus fortes en alimentaire comme l’origine, en revanche tout ce qui est relatif à l’éco-conception, le clean-label, le bien-être animal en alimentaire ou cruelty-free sur le DPH, comblent les mêmes besoins et partent des mêmes insights.
On est en train de structurer cette vision transversale qui va nourrir les différents chefs de produits.
EHD : Vous aller apporter une vision sur les insights en lien avec des tendances transversales.
CC : Aujourd’hui on se repose sur des insights catégoriels, et un peu sur des moments de consommation, et peu ou pas assez sur des tendances de fond. Or une des valeurs de LÉA Nature est l’esprit pionnier. Quand en 1995 l’entreprise a lancé des produits alimentaires bios, le marché n’était pas autant développé. Elle a devancé la demande pendant des années.
Notre objectif c’est de continuer d’avoir un coup d’avance. C’est plutôt compliqué dans une ère où tout le monde parle de transition écologique, du mieux manger, de l’éco-conception. Certaines tendances sont ‘prises’ par de grandes marques que ce soit en conventionnel ou en bio.
La connaissance des attentes consommateurs est ainsi très importante pour nous.
EHD : Avez-vous un exemple qui montre le lien entre la fonction de Responsable Insights Consommateurs et des évolutions de l’offre produit chez LÉA Nature ?
CC : J’ai un exemple complet et très récent, juste avant que la fonction ne soit créée. C’était sur ma catégorie des thés et infusions Jardin BiO Étic.
Dès 2011, notre démarche interne ‘Producteurs Régionaux’ (contrôlée par Ecocert) mettait en avant des produits fabriqués en France avec un minimum de 70% d’ingrédients provenant de France. Nous avions devancé ce questionnement de l’origine et du flou entretenu par ceux qui annoncent un ‘Fabriqué en France’ au détriment des consommateurs qui imaginent alors une composition à partir d’ingrédients français.
On a retravaillé cette caution car la démultiplication des mentions a perturbé la compréhension du consommateur : on a choisi de s’adosser à une démarche indépendante et de passer une grande partie de notre catalogue en ‘Origine France Garantie’ (certifiée par Bureau Véritas). On a désormais plus de cinquante produits dans cette démarche.
Nous avions aussi supprimé les agrafes pour rendre les infusettes compostables, conditionnées dans un étui en de fibres recyclées et recyclables… Mais nous n’étions pas au bout du chemin ! Les infusettes étaient enveloppées dans une enveloppe 100% papier mais non collé, nous avions donc encore besoin d’un film cellophane entourant l’étui pour protéger le produit, assurer l’inviolabilité et éviter qu’il ne s’évente. C’était du plastique, donc un petit caillou qui faisait très mal dans la chaussure. En menant une étude Usages & Attitudes et en demandant ce qui était important pour le consommateur, et en l’écoutant au travers des réclamations des avis consommateurs : ce n’était plus tenable. On le savait mais ça demande du temps, on a mis plus de 4 ans de R&D pour y arriver. On avait déjà lancé les choses mais on a accéléré le pas, et depuis quelques mois : on est la première marque à pouvoir dire qu’on a une démarche presque zéro déchet.
– Le cellophane (qu’on ne pouvait pas supprimer) est désormais biosourcé, on a remplacé le plastique issu du pétrole par de la cellulose de bois issu de forêts gérées durablement – c’est un process innovant ; et en aval dans une logique zéro déchet : on l’a rendu compostable.
– Le consommateur achète le produit en magasin, enlève le cellophane et le met au compost. Puis l’infusette : l’enveloppe papier est à recycler, le sachet à placer dans le compost après usage. Et enfin l’étui dans le bac à recycler et il ne reste rien en termes de déchets.
C’est une vraie fierté car c’était un défi par rapport à notre positionnement et à notre volonté, et aussi lié à notre process industriel. On a assuré notre savoir-faire de fabricant. On a réussi à combiner les deux pour avoir une solution qui convienne à tout le monde.
Nous avons répondu et devancé les attentes, sur tous les aspects de la démarche d’engagement. Nous sommes allés jusqu’au bout de notre démarche JARDIN BiO ÉTIC : E Entreprise citoyenne, T Territoire, I Innocuité, et C Climat et biodiversité. Toutes nos infusions (pas seulement les thés) sont équitables ou filière équitable, on a passé nos arômes en arômes bio ou en extraits bio alors que la réglementation ne nous y oblige pas. On a essayé d’aller au bout de la démarche. Et c’est lié à l’écoute des consommateurs, aux insights.
On répond à toutes ces problématiques dans chacun de nos développements produits. Et c’est aussi mon rôle en tant que Responsable Insights de dire : il y a tel sujet important, ou des signaux faibles qu’on ne traite pas à travers nos engagements de marque, est-ce qu’on l’intègre demain pour que ça devienne notre
51ème engagement.
EHD : Pour conclure, que diriez-vous aux Responsables Marketing qui nous lisent ?
CC : L’enjeu dans ma fonction Insights actuelle n’est pas seulement de connaître ce qui se passe aujourd’hui c’est aussi d’anticiper les évolutions de demain. C’est un état d’esprit, et c’est le rôle de chaque Responsable Marketing de se poser ces questions car c’est indispensable. Quand l’entreprise peut se permettre d’avoir une personne dédiée à cette fonction-là : alors il faut la voir comme un partenaire business, se dire que c’est votre meilleur ami. Ce n’est pas à lui d’être à l’origine de toutes les réflexions en revanche s’il y a des questions c’est la meilleure personne avec qui en parler pour débattre et savoir comment répondre à votre problématique.
NOTRE REGARD
Merci à
Christophe Cisowski pour ce témoignage qui renforce ma conviction de l’importance de bien connaître & comprendre les consommateurs pour donner les meilleures chances de succès aux produits de l’entreprise. Et de partager cette posture d’empathie avec les parties prenantes en interne. Cette fonction peut être portée par une ressource en interne (Responsable Insights ou Responsable Études) et/ou par un consultant extérieur. Parmi les nombreux moyens à notre disposition : interviews ou groupes de discussion, observation en situation d’achat, échanges à domicile en ouvrant le frigo et les placards… Ces outils nous aident à identifier des insights judicieux, c’est-à-dire qui soutiennent des axes d’innovation pertinents et différenciants.
Merci pour cet article sur une fonction qui me parait essentielle. Nous qui travaillons sur l’innovation et la R&D pour le secteur alimentaire et la nutrition, il est toujours plus facile de travailler avec des éléments consommateurs précis. Nous sentons une évolution forte et rapide des attentes, renforcée par la période actuelle. Avec une bonne écoute consommateur et prédictive, le taux de réussite est bien meilleur.