Interview croisée chez KANTAR TNS

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Interview Veille & tendances

A l’issue du SIAL 2018, Raphael Ventura et Pascale Grelot-Girard de KANTAR TNS, répondent aux questions de direction-marketing.fr

 

Raphaël Ventura
Directeur expertise Innovation & Développement Produit chez Kantar TNS

Lors du SIAL 2018 vous avez présenté les clés du succès d’une innovation, pouvez-vous nous en dire un mot ?

R.V. Ces clés de succès sont issues du croisement de deux sources :
D’une part la base de données de la société KANTAR TNS dont le métier consiste à conduire des études adhoc et notamment des screenings de concepts (méthodologie Concept eValuate) en amont des lancements. Cela représente 12 500 cas en France. Nous mesurons ainsi les forces et faiblesses des idées avant le lancement éventuel du produit final.

D’autre part, la société KANTAR WorldPanel évalue les performances de ces innovations post-lancement, elle collecte les performances de pénétration et de réachat, éléments-clé qui font qu’un produit réussit plus ou moins bien. Nous observons aussi l’évolution de ces performances au cours des années qui suivent le lancement.
Le fait de disposer dans un même groupe de ces deux visions, amont et aval, nous permet de croiser des données-clé et d’en tirer des enseignements.

Vous attirez notre attention sur l’importance du taux de pénétration d’une innovation la première année ?

R.V. Si nous prenons l’ensemble des innovations en Grande Consommation, la pénétration moyenne n’est que de 1,6%. Seuls 5% de ces nouveaux produits ont un taux qui excède 5% : cela montre la difficulté pour un produit de se faire essayer !

Bien sûr il faut modérer cette statistique pour les grands groupes agroalimentaires dont la puissance marketing permet de soutenir leurs lancements avec une montée rapide en DV et de forts investissements publi-promotionnels.
A titre d’exemple je citerais le succès de Ferrero avec Nutella B-ready qui a obtenu la première année un taux de pénétration de 24%, Danette Pop (Danone) avec 13%, ou bien May Tea (Orangina Suntory) avec 8%. Donc percer, c’est possible !

Vous rappelez également l’importance de répondre à un insight consommateur pour augmenter ces performances ?

R.V. Parfois certains responsables marketing pensent avoir une idée originale, une pépite et sont tentés d’écrire – à rebours – un insight-consommateur qui corresponde à cette idée. Mais c’est faire le travail à l’envers. Pour s’assurer de la pertinence des futurs produits, on doit d’abord observer le quotidien des consommateurs afin de détecter leurs insatisfactions (ou tensions) : respecter cette phase exploratoire amont, c’est se donner la chance de trouver des idées pertinentes, sources d’une réelle croissance et auxquelles on n’avait pas songé.

Je prends l’exemple d’un producteur d’huile de friture pour qui nous avons mené ce type d’étude. Il cherchait à comprendre les problèmes rencontrés lors de l’utilisation de son produit, la praticité de son packaging, si le bouchon s’ouvrait et se refermait facilement, si la bouteille ne gouttait pas, etc…
L’observation d’un groupe de consommateurs a permis d’identifier que le problème rencontré n’était pas lié au packaging mais à l’huile usagée en usage friteuse : l’aspect noirâtre, l’odeur nauséabonde, la difficulté à jeter cette huile : les marketeurs ont ainsi identifié un frein à l’utilisation de l’huile de friture qui a amené la marque a créer une solution : Frit’O Clean qui permet de solidifier l’huile usagée et donc de la jeter plus facilement et sans crainte dès que l’huile de la friteuse doit être renouvelée.
L’innovation répond ainsi à un véritable insight-consommateur constaté et non à un besoin fantasmé.

Une innovation répondant à une véritable attente (ou tension) a beaucoup plus de chances de rencontrer son public.
Tourtel Twist, par exemple, qui répond à l’envie d’une partie des consommateurs cherchant à consommer une boisson ayant l’apparence, la mousse et la fraicheur d’une bière, mais sans l’alcool ni l’amertume. Elle atteint la première année un bon taux de pénétration de 5,2%.

Quel investissement en temps et en budget représente ce recueil des attentes et besoins ?

R.V. Une phase d’insightment couplée à une phase de workshop avec l’annonceur (pour élaborer des concepts robustes) peut prendre environ 2 mois mais permet d’éviter de développer et lancer une innovation qui ne rencontrera pas sa cible ou qui s’opposera inutilement à des concurrents déjà installés via une offre adaptée.

Cette étape d’observation permet de dégager différentes pistes d’insights. Cette démarche n’est pas réservée aux grands groupes, mais à tous les types d’entreprises et représente un budget entre 20 et 40 000 € pour générer 5 à 10 plateformes d’insights.

Vous parlez aussi d’innovation incrémentale ?

R.V. Nos clients ressentent une urgence à innover, à lancer de nouveaux produits pour animer leur linéaire, stimulés en cela par les enseignes. Mais il ne faut pas sous-estimer le risque de canibalisation, si les consommateurs remplacent le produit qu’ils avaient l’habitude d’acheter par le nouveau produit, c’est alors un jeu à somme nulle pour la marque !

Il faut donc penser à la possibilité d’étendre le territoire de la marque pour éviter ce risque de cannibalisation et enclencher par conséquent un business additionnel. La cannibalisation peut éventuellement être envisagée mais en veillant alors à ce que la marge soit plus importante sur le nouveau produit.

Vous avez réalisé une étude sur les attentes des consommateurs au niveau mondial. Que doit-on retenir de cette étude Food 360 ?

Pascale Grelot-Girard
Directrice expertise Market Intelligence chez Kantar TNS

P.G.G. Notre étude relève trois principales attentes : le plaisir, la transparence et le sens.

Le plaisir est lié à la recherche de la bonne qualité, pas le meilleur des goûts mais une adéquation entre la promesse et le produit. Cela semble évident mais ce n’est pas toujours au rendez-vous.

L’attente de transparence découle de la défiance des consommateurs envers les industriels, née des scandales sanitaires. Les entreprises doivent partir du principe qu’elles n’ont rien à cacher, mieux affirmer leur honnêteté et prouver qu’elles font bien. Prenons l’exemple des sels nitrités, à la suite de l’émission Cash Investigation, les industriels se sont mis a faire du jambon rose sans sels nitrités, comme quoi c’était possible !

J’ajouterai que de tous les peuples interrogés, les français sont les plus réactifs à cet aspect. Ils sont en forte attente de plus de transparence de la part de tous les professionnels de l’alimentaire , en particulier en termes d’origine, liste des ingrédients/composition, lieux de fabrication et conditions d’élevage et de production agricole. Ils sont rassurés par les garanties apportés par des promesses de naturalité, les produits bio et par les labels.

Le sens : la façon de consommer est un moyen pour le consommateur d’affirmer ses choix individuels comme de cultiver son jardin, d’acheter en circuits courts , de modifier ses habitudes alimentaires ou le choix du zéro déchet…
Nous sommes devenus des conso-acteurs.

Pour finir j’ajouterai le déficit d’offres produits avec des emballages éco-conçus, alors que l’intérêt pour ce type de produit existe. Il y en a peu et souvent vendus plus chers que les emballages classiques alors que le consommateur n’est pas prêt à supporter toute la différence. Le succès de la marque « C’est qui le patron » montre qu’il est prêt à payer un peu plus chers pour une démarche équitable, on peut imaginer un parallèle pour le développement durable.

En termes de gaspillage alimentaire, les Français sont très nombreux à juger que c’est important de le réduire et ils considèrent qu’ils sont les premiers à devoir le faire, suivis des distributeurs et des restaurateurs.
On voit en Islande jusqu’à 6 poubelles dans les cuisines, inspirons nous de ce qui fonctionne ailleurs !

Pour en savoir plus, cliquez sur : le communiqué de presse de Kantar TNS au SIAL  ou sur l’étude Food 360.